L’ère du soupçon
Les premières observations concernant l’origine des cancers datent du début du 18ème siècle, époque à laquelle Ramazzini (1713), un moine Italien, avait constaté que le cancer du sein était particulièrement fréquent chez les religieuses dont une des caractéristiques communes était de ne pas avoir d’enfant. En 1775 Pott, en Angleterre, note la fréquence des cancers de la peau du scrotum chez les ramoneurs exerçant cette profession depuis l’enfance et portant en permanence des pantalons imprégnés de suie. Jusqu’à la première guerre mondiale , les observations se sont ainsi accumulées : cancer du poumon chez les mineurs exposés au radon, cancer de la peau des mains et avant-bras chez les radiologistes exposés aux rayons X, et chez les agriculteurs et marins exposés aux rayons Ultra Violet (visage, bras…), cancer de la vessie chez les ouvriers exposés à certaines peintures, cancers de la bouche des chiqueurs de bétel…
Depuis les années 50 l’épidémiologie, étayée par le développement des méthodes statistiques adaptées, a permis d’identifier des facteurs jouant un rôle dans le déclenchement de certains cancers et d’autres maladies ; ce qui justifie la mise en œuvre d’actions de prévention primaire.
Afin d’identifier et de mesurer le rôle de certains facteurs dans le développement d’un cancer, on utilise deux grands types d’études : les enquêtes cas témoins et les enquêtes de cohorte.
- Dans une enquête cas témoins, on compare dans un groupe de personnes atteintes d’un cancer spécifique (cas) et dans un groupe de sujets indemnes de ce cancer (témoin) les expositions aux facteurs étudiés,
- Dans une enquête de cohorte, on recueille les expositions au cours du temps concernant les facteurs de risque étudiés pour tout un groupe de sujets indemne de ce cancer à l’entrée dans l’enquête. On analyse ensuite l’incidence de ce cancer en fonction des expositions aux risques enregistrées pour chaque sujet.
L’interprétation des enquêtes épidémiologiques
L’interprétation des résultats des enquêtesépidémiologiques est un exercice plein de pièges : en effet la mise en évidence d’une relation entre un facteur et une maladie ne préjuge en aucun cas de la causalité directe, elle signifie seulement que « la présence du facteur ou son absence » augmente ou diminue l’incidence de la maladie d’une proportion quantifiable.
Ainsi l’épidémiologie rencontre des difficultés à répondre clairement sur la réalité des risques, en particulier ceux liés à des expositions environnementales. La multiplicité des études épidémiologiques aux résultats contradictoires sur les risques sanitaires environnementaux ne peut que désorienter le public et les décideurs. Qu’il s’agisse, par exemple, des champs électromagnétiques de très basse fréquence, des antennes de téléphonie mobile, des téléphones portables, des très faibles doses de rayonnements ionisants, du radon, des pesticides ou des faibles consommations d’alcool, on retrouve en effet un grand nombre d’études dont les résultats sont non seulement contradictoires, mais statistiquement incompatibles1 et faussement positives.
Ces difficultés conduisent à la nécessité d’élaborer une échelle de validité des études épidémiologiques, qui évalue leur fiabilité méthodologique et le degré de preuve qu’elles peuvent apporter(voir plus bas).
[Les erreurs possibles d’interprétation
Quelque soit le type d’enquête et la valeur du risque trouvé, il faut avant de chercher à l’interpréter s’assurer tout d’abord que le résultat observé n’est pas du :
La présomption de causalité
Ainsi pour les cancers l’origine de la maladie est en général plurifactorielle avec des interactions entre les divers facteurs qui peuvent être à la fois exogènes et endogènes. Il faut pour supporter la « présomption » de causalité pour un facteur donné, qu’un certain nombre de conditions soient remplies :
- La cohérence chronologique : l’exposition au facteur présumé causal doit précéder l’apparition de la maladie,
- La constance de l’association dans les différentes études : valeur du risque estimé de même ordre,
- L’existence d’une relation dose-effet : plus la quantité d’exposition est grande, plus le risque augmente,
- La cohérence avec les données expérimentales : le facteur a montré des propriétés carcinogènes de même type chez l’animal ou in vitro,
- La suppression de l’exposition doit faire diminuer l’incidence de la maladie.
La réunion de tout ou d’une majeure partie de ces conditions permet le plus souvent d’emporter la conviction sur la nature causale ou non de la relation facteur-maladie. Cependant, l’absence de démonstration formelle du rôle pathogène direct d’un facteur n’empêche pas la mise en place, par principe de précaution, d’une suppression (ou réduction) de l’exposition à ce facteur!
L’impact sur la population : la part attribuable
Lorsque l’on veut estimer combien de cas de la maladie sont attribuables à un facteur jugé à risque pour la population et donc combien de cas pourrait être supprimé, on calcule cette « part attribuable ». Pour cela il faut connaître la proportion de sujets exposés à ce facteur et le niveau d’augmentation du risque. Un risque même très élevé aura peu de conséquence en nombre de cas si l’exposition est extrêmement rare et à l’inverse un risque même modeste entraînera un grand excès de cas si l’exposition est fréquente.
Malgré ces difficultés, l’épidémiologie tient un rôle central dans l’analyse quantitative des phénomènes pathologiques touchant une collectivité et dans l’évaluation de l’ampleur des risques avérés ou suspectés. Elle a ainsi une influence majeure sur la prise de décision médicale et sur les orientations des politiques de santé.